Pour rendre le sport plus populaire, comme pour que la république en recueille lauriers et bénéfices dans la gloire des épreuves, Pierre de Coubertin pensait qu’il fallait commencer par l’internationaliser. Et pour ce faire, qu’il fallait mettre dans la balance des enjeux nationalistes si conséquents, que les politiciens de l’époque ne pouvaient les contrarier et si fédérateurs que les populations voudraient les défendre. C’était aussi la solution pour que les gouvernements favorisent le sport dans les programmes de la jeune éducation nationale et qu’ils aident aussi au développement d’un professionnalisme du genre. Au milieu de l’année 1894, Coubertin, au cours d’une séance solennelle de l’USFSA dans l’amphithéâtre de la Sorbonne, proclame le rétablissement des Jeux olympiques. Il y travaille avec acharnement depuis deux ans et y parviendra ce 23 juin. On décide aussi dans la foulée, que les Jeux olympiques auront lieu tous les quatre ans et à l’international. Coubertin n’est pas le seul à œuvrer pour que les jeux renaissent, son premier appel en 1892 avait eu un retentissement international. La fin de ce XIXe siècle dit « des lumières » est de toutes les façons naturellement dédiée aux grandes manifestations internationales. Le Nouveau Monde fascine, la photographie intègre les médias, les colonies et l’exotisme passionnent les foules. L’écrivain grec Vikelas est nommé président du CIO et les premiers Jeux olympiques modernes se dérouleront à Athènes, en avril 1896 et seront ouvert par le roi Georges Ier de Grèce. L’antiquité se fait alors actrice contemporaine et rappelle à tout le monde occidental que la Grèce est le berceau de notre civilisation. La noblesse des jeux ne peut-être contrariée. L’événement en est témoin. Et c’est une grande idée. Une grande et généreuse idée comme le diront les intellectuels de l’époque. En cette même année 1896, Pierre de Coubertin deviendra le président du comité olympique et le restera pendant près de 30 ans. Et il devra connaître bien des déboires et gérer bien des crises pour se maintenir à son poste. Citons pour l’exemple, l’organisation périlleuse des « journées anthropologiques réservées aux représentants des tribus sauvages et non civilisées » qu’il condamnera fermement, ou les jeux de Londres en 1908 où les hôtes tentent d’imposer des jurys exclusivement composés d’anglais. Le monde bouge à toute vitesse, la guerre mondiale n’en finira pas de durer de 1914 à 1945, l’humanité sera la proie de toutes les passions et de tous les idéaux. Et de tous les malheurs. Elle poussera à son paroxysme les conflits. Les sociétés seront en constantes mutations, des empires s’écrouleront et tout ce qui pourra rapprocher l’humain de la paix, sera le bienvenu. En cela, l’idée de la réapparition des Jeux olympiques est effectivement une belle grande et généreuse idée. Mais ce message ne sera-t-il pas quelque peu galvaudé par des comités directeurs olympiques trop impliqués dans leurs époques, parfois trop clients de leurs systèmes de promotion, ou encore trop avides de reconnaissances, d’argent et d’honneurs ? Et qu’en est-il de la pensée sincère d’un fondateur comme Pierre de Coubertin au sujet des grandes nations et de la « différence » entre les peuples ?
Fervent partisan de la colonisation, comme beaucoup de ses contemporains, Coubertin écrira sans ambages dans ses mémoires comme il le déclarera dans quelques articles de presse : « dès les premiers jours, j’étais un colonial fanatique ».
Propos à double sens…
car il peut tout aussi bien s’agir d’un écho à son fameux œcuménisme sportif, comme à une réalité contemporaine et républicaine. D’ailleurs, cet œcuménisme sportif revendiqué va de pair avec la vision disciplinaire de la pratique sportive qu’il prône. Nous pourrions même mettre le mot au pluriel, et au sens large du terme.
Comme beaucoup d’Européen et notamment de français de cette époque, Coubertin pense que les peuples colonisés sont des peuples inférieurs, qu’il convient donc d’éduquer et de former, non en bon chrétien, mais en bon républicain. Coubertin voit dans le sport le moyen de se faire. Du clocher à la mairie, il n’y a souvent que peu de pas. Et de la mairie au bureau de recrutement aussi. Et l’idée d’éducation sportive plaît aux dirigeants politiques et militaires en place, qui ont compris assez vite que si les matières premières des pays colonisés sont une incroyable richesse importée, ses populations sont également une autre importante matière à exploiter et à exporter. Le sport peut donc être un instrument utile de « disciplinisation » de populations « indigènes » considérées alors comme infantile de nature. Coubertin accorde une grande place à l’honneur patriotique et au nationalisme dans ses différents discours et écrits. Il présente aussi le sport comme un moyen de rendre ses pratiquants plus aptes à la guerre. Il écrit : « Le jeune sportsman se sent évidemment mieux préparé à partir à la guerre que ne le furent ses aînés et quand on est préparé à quelque chose, on le fait plus volontiers ! ». Une bien belle lapalissade en fin de phrase sert à clôturer le propos. Tout chez de Coubertin, pousse le lecteur ou l’auditeur à reconnaître et à admettre l’évidence du sport. Mais sorti de ce contexte propre à l’empire colonial français, et au nationalisme cocardier du moment, Coubertin semble aussi, à la lecture de ses propos, contaminé par le racisme ambiant de son époque. Il déclarera : « Les races sont de valeur différente et à la race blanche, d’essence supérieure, toutes les autres doivent faire allégeance ». Il trahira par là une peur des milieux sportifs et politiques assez communes à l’époque, à savoir « que le noir, le rouge ou le jaune, sautent plus loin et plus haut et courent plus vite que le blanc… » Peur justifiée… Un petit homme à moustache courte avec une crampe permanente au bras droit en fera l’expérience amère au J.O de 1936… Il sera d’ailleurs reproché à Pierre de Coubertin d’avoir fait la part belle au national-socialisme allemand en général et à son leader en particulier. Il déclarera à ce propos : « Comment voudriez-vous que je répudie la célébration de la XIe Olympiade ? Puisqu’aussi bien cette glorification du régime nazi a été le choc émotionnel qui a permis le développement qu’ils ont connu ! » Notons que le baron de Coubertin ne connaîtra pas la suite de l’histoire, puisqu’il décédera jour pour jour, deux ans avant la déclaration de guerre de la France à l’Allemagne, le 2 septembre 1939, suite à l’invasion de la Pologne.
De la synthèse de ses propos et pensées retranscrite, on retrouve aussi et sous-jacentes, certaines notions d’eugénisme. Il écrira : « Toute société est divisée entre forts et faibles, il y a deux races distinctes, celle au regard franc, aux muscles forts, à la démarche assurée et celle des maladifs, à la mine résignée et humble, à l’air vaincu… c’est dans les collèges comme dans le monde : les faibles sont écartés, le bénéfice de cette éducation n’est appréciable qu’aux forts ». D’autres ont pensé ceci après lui…
D’un point de vue personnel, j’ai, à la lumiére des documents consultés, le sentiment que Pierre de Coubertin mélangeait plusieurs sujets. Il me semblait avoir une vision presque romantique de la discipline sportive, de sa pratique qui fabrique l’athlète, le dieu du stade, le héros dont rêvent toutes les nations. Il y ajoutait la dominance raciale, la représentation philosophique et politique dans la discipline sportive, et la notion non de compétition, mais de compétitivité entre les peuples. Un amalgame diablement logique pour qui n’a pas une vision globale de l’humanité, mais qui serait victime d’une sectarisation comme d’une sectorisation nationaliste.
Mais le baron de Coubertin , hors de ses considérations sur les peuples, les « races » et la pratique sportive en générale, avait aussi un autre cheval de bataille : la femme et le sport. Autre grand danger selon lui pour l’équilibre des peuples. Vaste sujet et vaste programme doté d’un historique en décalage complet avec « l’autre sport », celui des hommes, des vrais, des mâles, des durs et des tatoués. Lisons plutôt ceci émanant de l’un de ses articles : « Une petite olympiade femelle à côté de la grande olympiade mâle. Où serait l’intérêt ? […] Impratique, inintéressante, inesthétique, et nous ne craignons pas d’ajouter : incorrecte, telle serait à notre avis cette demi-olympiade féminine. Ce n’est pas là notre conception des Jeux olympiques dans lesquels nous estimons qu’on a cherché et qu’on doit continuer de chercher la réalisation de la formule que voici : l’exaltation solennelle et périodique de l’athlétisme mâle avec l’internationalisme pour base, la loyauté pour moyen, l’art pour cadre et l’applaudissement féminin pour récompense ».
En bref, la femme doit récompenser l’athlète et l’honorer de ses faveurs. Le repos du guerrier, en somme. Et en aucun cas, elle ne doit le mettre dans la concurrence de prestige. Nous sommes là encore dans une vision romantique, pour ne pas dire romanesque, des implications du sport sur l’homme. Des idées d’un autre temps qui perdurent cependant. Il suffit de constater aujourd’hui, et plus que jamais, depuis Piaf et Cerdan, les liens intimes qui unissent les célébrités féminines des arts et du spectacle aux sportifs masculins de haut niveau, toutes disciplines confondues. Notons tout de même, et grâce en soit rendue aux votes du comité olympique, que les femmes participeront à diverses olympiades dés 1900. « La femme n’est pas faite pour lutter, mais pour procréer ». Les athlètes féminines prouveront par la suite, toute la bêtise de cette phrase vendue à l’époque de Coubertin comme une vérité.
Alors, qu’en conclure ? Sinon que « le génial » Pierre de Coubertin, l’homme qui a contribué à faire renaître les antiques Jeux olympiques, qui a jeté les bases de cette maintenant gigantesque entreprise mondiale qui déplace les foules et monopolisent les écrans à dates données, qui fait quelques fois trembler les gouvernements, qui mobilisent les médias et la finance, qui sert les causes politiques les plus idéalistes comme les plus noires, était un homme de son époque, porteur des convictions de son temps, et peut-être qu’il ne faut en conséquence, ne le voir comme un cliché photographique pris à l’instant « T ». Comme un témoignage. Comme le foyer de l’incendie. Comme le mètre étalon d’une troisième république préfabriquée.
Yoann Laurent-Rouault extrait 2/3 du documentaire sur Les mémoires de Pierre de Coubertin dans la collection Atemporel.