L’ULTIME GORGÉE (2/4)

L’ULTIME GORGÉE (2/4)

 

Claude se penche exagérément sur son clavier, en évitant de penser. Il continue d’élaborer ses messages. Il a la désagréable certitude, depuis l’aube, d’avoir contrecarré les plans de ses discrets et cupides patrons.

« Les graves problèmes de sécurité en Irak m’ont conduit à m’arranger avec des agents de sécurités privées pour transférer ma part hors du pays. J’ai camouflé les fonds dans un bagage codé en destination de Londres.

Tout ce que je vous raconte est la vérité. Si nous traitons ensemble, vous pourrez le constater. Je vous interpelle donc pour vous demander de m’aider à récupérer le fameux colis et à le transférer dans votre pays. Je voudrais investir ces fonds dans des domaines rentables. Si vous acceptez de m’aider, je vous donnerais des dédommagements conséquents.

Les insurgés Iraquiens me traquent. Ils veulent me tuer parce que je fais des traductions pour les Américains. Je me déplace uniquement escorté par des soldats occidentaux. Je ne me sers jamais de téléphones. J’utilise seulement Internet et des walkies-talkies pour communiquer avec les militaires.

Lorsque cette transaction sera conclue, je démissionnerais. Je compte beaucoup sur votre aide, vous qui pouvez vivre sans connaître le danger… Ne m’abandonnez pas.

Monsieur I. Majeed »

 

Claude ne peut distraire son esprit du rendez-vous qu’il avait donné à une journaliste, trois jours plus tôt. Elle venait d’Europe du Nord. Il avait compris qu’elle était d’origine norvégienne. Il l’avait rencontré entre des échoppes de babioles pour touristes. Elle marchandait plutôt bien. Elle voulait faire un reportage à sensation. En deux mots, elle avait su le faire parler. En souriant, elle comprit qu’il pouvait lui apporter ce qu’elle recherchait.

Elle était si jolie. Frappé par ses yeux bleus et sa chevelure blonde, il s’était laissé aborder sans comprendre. Une Européenne qui s’intéressait à lui, c’était magique. Une déesse du Nord venait de le capturer. Sa peau était si blanche qu’il se demandait si elle faisait vraiment partie du monde des vivants. Elle riait avec élégance. Son accent était séduisant. Elle se déplaçait avec grâce. Elle s’intéressait à son travail. Elle voulait tout savoir, tout comprendre.

« Qui était son employeur ? Quelle était la teneur de ses messages ? Qui lui répondait ? ». Ces interrogations fusaient. Elle s’enchaînait comme les vagues qui heurtent élégamment le rivage.

« Combien de messages atteignaient leurs cibles ? Combien d’argent pouvait-on obtenir par semaine ? Et sous quelle forme ? ».

Il avait voulu la séduire. Il avait répondu à toutes ces questions sans vraiment prendre garde. Il était sous le charme d’un regard rieur. Entrevoyant une idylle de rêve, il avait multiplié les confidences. Le premier soir, elle l’avait invité dans le restaurant de son hôtel. Elle ne mangeait pas, elle effleurait les aliments. Elle ne buvait pas, elle trempait ses lèvres dans son verre. Elle ne parlait pas, elle semblait se confier avec peu de mots et beaucoup de sourires. Elle ne questionnait pas vraiment, elle suscitait les confidences. Elle lui avait avoué son prénom, Christine, avec un air de conspiratrice. Elle lui avait affirmé que son identité resterait secrète, personne ne verrait son visage. Il n’y prêta aucune attention. Pareilles lèvres ne pouvaient que parler vrai.

Après une longue gorgée de vin, il lui avait confié son aspiration la plus folle. Il s’était entendu dire, avec de longues phrases, qu’il souhaitait devenir écrivain. Elle l’avait fixé, comme s’il venait de lui faire un aveu de la plus haute importance. Elle avait longuement hoché la tête, en répétant sa confidence. À cet instant, il avait cru qu’il venait de faire un grand pas vers son rêve. Il le lisait aux creux de ses lèvres. Il se voyait déjà en couverture d’un magazine, son premier roman à la main.

À son départ, elle avait approché son visage si près du sien, qu’il avait senti ses lèvres effleurer les siennes. Elle avait laissé un doigt glisser sur son torse. Il était prometteur. Il ne pouvait saisir qu’il le poussait vers la sortie. Claude resta paralysé. Aveuglé, il lui avait fallu faire cinq cents mètres dans la rue, pour se convaincre que bientôt, il la saisirait dans ses bras. La tête en feu, il n’avait pas remarqué les deux colosses, aux visages balafrés, qui le suivaient.