Propos d’.OL Barenton, confiseur.
- « Connais-tu ce livre : Les propos d’O.L Barenton, confiseur.
- C’est un livre d’auguste Detoeuf…
- Qui ?
- Le type qui a créé Alstom…
- Ha… et ?
- J’aimerais que tu l’illustres…c’est des aphorismes et des pensées des années 30…
- Bon… J’vais voir ça… »
Comme d’habitude, une conversation succincte, avec Jean David Haddad, éditeur de son état, quelques mots entre deux autres problèmes littéraires et l’actualité des deux maisons. La complicité qui nous unit simplifie les choses. Mais quand même, le personnage a le don de dénicher pour ses classiques, des œuvres auxquelles plus personne ne pense et qui pourtant cartonnent une fois rééditées, de la psychologie des foules de Lebon aux mémoires d’un spéculateur préfacé par Benoist Rousseau d’Edwin Lefévre (illustrées par votre serviteur), et publiées en deux langues, s’il vous plaît.
Pour un illustrateur, une connaissance de l’œuvre est essentielle, vous vous en doutez. Donc quand on ne connaît pas, il faut lire et se documenter sérieusement sur le sujet. La chèvre de monsieur Seguin, Le capital de Marx, The times machine d’Orwell ou autres, c’était plus facile pour moi chez MEMORIA BOOKS. Des œuvres lues et digérées depuis longtemps et qui plus est, bénéficiant du recul nécessaire pour être immédiatement traité efficacement avec le pinceau.
Mais ici, comme pour le spéculateur, le confiseur était énigme. J’ai fini par comprendre le titre à la lecture, et pourquoi cet ancien énarque et grand capitaine d’industrie d’auteur, avait choisi le terme de « confiseur » pour illustrer son propos. Simplement parce que justement ses aphorismes et pensées, analyses et anecdotes, étaient acidulées et sucrées à souhait. Ce qui m’a frappé ensuite, c’est la contemporanéité de certaines réflexions. Sur l’entreprise, sur les stéréotypes nationalistes, sur le monde en général, sur l’amour, sur l’argent, sur les masses salariales… Brillant et moderne. Bien évidemment, il y a quelques réflexions que ma fille aînée qualifierait de celles « de vieux cons », mais, elles sont minoritaires et pour quelqu’un de ma génération plutôt amusantes au final. Voici quelques exemples de bons mots de l’auteur : « Avoir fait fortune, c’est posséder un peu plus d’argent que les gens qu’on fréquentait la veille. Juste assez pour pouvoir les laisser tomber. » « Les économistes ont raison : le capital est du travail accumulé. Seulement, comme on ne peut pas tout faire, ce sont les uns qui travaillent et les autres qui accumulent. » Ou encore : « Un idiot riche reste un riche. ». Ce livre est paru en 1938. Peu de temps avant le chaos. Peu de temps avant que le monde se décide unanimement pour une économie de guerre.
Avec monsieur Detoeuf, j’ai hésité en fin de lecture sur la façon de procéder. Réflexion faite, ce livre oscillait entre le recueil de pensées façons de La Rochefoucauld, et la notice. Le mode d’emploi. Le guide du savoir-faire de l’industriel. J’ai donc opté pour un schéma assez simple. « Je prends la table des matières et j’illustre sans complexe. » Mais, passé la vie et l’œuvre du capitaine, les propos de l’éditeur de l’époque, je suis entré dans le vif du sujet. J’ai compris la rythmique de l’œuvre. Je l’ai alors accompagné d’une certaine symbolique répétitive, comme ce bonbon rose qui « fleurit » au fil des pages. J’ai aussi choisi de garder quelques sujets pour illustrer les années trente. Presque quarante. Ce qui change à peu près tout. J’ai toujours été frappé en art comme en littérature comme en design, comme en théâtre, cinéma et danse, de l’incroyable bond en avant qu’avait fait cette décennie, résolument moderne. Alors, on danse! comme dirait un des poètes des temps modernes.
34 illustrations se sont succédées, prenant parfois des statures poétiques, réalistes ou caricaturales. J’ai évidemment pioché dans l’époque, mêlants différents éléments, du cartoon à l’image pieuse républicaine noyée par les flonflons bleu blanc rouge. J’ai aussi repris des éléments des propagandes des états postapocalyptiques, j’en ai profité pour saluer amoureusement quelques Pin Up de l’époque et j’ai aussi fait un détour par le cinéma de Spielberg. De Renoir. De Baz Luhrmann. Tant pour les cadrages que pour la thématique développée. Un travail plastique de compositions, des illustrations « ouvertes », libres de pensées pour le spectateur, mais collant au texte. Je suis plasticien avant tout, et comme Marcel Duchamp, un célèbre marchand de sel, je sacralise délibérément des éléments et des fragments de vie réels pris à la masse culturelle diffusée mondialement. C’est sans complexe et avec un propos universel, comme le sirop Typhon, que je me livre à ce petit jeu qui de par le fait mêle plusieurs genres.
En attendant le verdict des foules, je vous confesse avoir pris un certain plaisir à réaliser cette commande. Surtout qu’elle s’intercalait dans une production, beaucoup plus « sérieuse et douloureuse », à savoir 84 illustrations pour le capital de Karl Marx. Alors, notre confiseur fut une petite récréation salvatrice. Merci à vous monsieur l’éditeur.
Yoann Laurent-Rouault.