Politique et littérature

C’est à la même date que Jules Vernes, qui siège depuis déjà quelques années au conseil municipal de la ville d’Amiens (Culture et urbanisme)  devient aussi très actif dans les rangs de l’alliance française. L’organisation  fut créée en 1883 à l’initiative de Pierre Foncin, alors inspecteur général de l’enseignement secondaire et de Paul Cambon, (chef de cabinet de Jules Ferry) et avec l’appui de personnalités telles Philippe Berthelot, Ferdinand de Lesseps, Louis Pasteur, Ernest Renan ou encore Armand Colin.

Ce groupe voulait aider au rayonnement de la culture française dans le monde, et voulait la promotion de la philosophie des Lumières, principalement dans l’empire colonial… Il était apolitique et non religieux. Du moins sur le papier. Le nom d’Alliance française aurait peut-être été inspiré par l’Alliance israélite universelle, créée vingt ans plus tôt. Comme quoi…

Jules Vernes, comme beaucoup de célébrité à cette époque, était resté monarchiste dans l’âme, mais à tendance orléaniste. D’après ses écrits et ses correspondances, il semblait peu croire en la république, même si celle-ci semblait à ses yeux, pouvoir davantage exacerber le patriotisme et le nationalisme de la population, qu’un régime royaliste. L’idée sous-jacente était que ces restaurations successives qui s’enchaînaient depuis 1789 étaient peut-être moins brutales avec le peuple, que la république de 1848 et ses généraux le furent. Jeune homme, il en fût témoin. Et pour ne citer que cet exemple. On le retrouvera  donc assez naturellement dans le camp des antidreyfusards. Pour lui, et d’autres,  l’honneur national  importait plus que le respect de l’individu.

Point de vue que je ne partage pas, et tout comme Zola, cette idée me révulse. À noter que quelques auteurs de grande renommée se perdirent dans cette affaire, mêlant des relents antisémites aux grandiloquentes théories liées aux honneurs divers et variés de la République française. A la même époque, Alphonse Daudet alla jusqu’à financer des ligues extrémistes anti-juives de ses propres deniers. Pour l’exemple, là aussi. Le débat faisait rage dans les milieux intellectuels et politiques de ce début de siècle dramatique  et de cette autre fin de siècle « éclairée ». Et les feux de ce débat consument encore des braises aujourd’hui.

Pour ma part, je ne retiens de ce pugilat républicain que le « j’accuse de Zola », comme plaidoyer universel  sur l’injustice, comme plus tard, je retiendrais celui de gens comme Badinter ou encore comme Simone Veil, sur d’autres sujets, mais tout aussi important, comme je retiendrais aussi le discours de Victor Hugo sur la misère qu’il a prononcé en 1848 à ce qui fut  un temps l’Assemblée nationale de notre pays.  Je retiendrais aussi le discours de Camus appelant à ses risques et périls, à recouvrer une Algérie non violente et mixte, je retiendrais aussi la prière de martin Luther King. Tant que le débat existe, quel que soit le camp choisi, l’on peut alors encore parler de démocratie. Tant que la pensée complexe est à l’honneur, tant que la pensée unique reste au placard, nous éviterons le pire. Ceci est l’ humble avis d’un auteur contemporain du naufrage de la Ve république et plus largement, de la mort des libertés individuelles.

La littérature est aussi politique, Beaumarchais, Voltaire ou Rousseau, Diderot ou Hugo, ne pourraient écrire le contraire.

Citons maintenant quelques anti et Dreyfusards célèbres, en commençant par le camp de Jules Vernes : Armand du Paty de Clam (l’officier qui a arrêté Dreyfus), Félix Faure, Maurice Barrès, Paul Bourget, Ferdinand Brunetière,  Édouard Drumont, Maurras, Daudet, Paul Valéry, Edgar Degas, Auguste Rodin, Cézanne, Renoir, Henri de Toulouse-Lautrec…

Voyons maintenant pour les Dreyfusards : Georges Clemenceau, Jean Jaurès, Paul Langevin, Émile Loubet, Francis de Pressensé (directeur de L’Aurore où parut « J’accuse…! »),  Pierre Waldeck-Rousseau, Victor Basch, Léon Blum, Émile Duclaux, Anatole France, Lucien Herr, Octave Mirbeau, Gabriel Monod, Charles Péguy, Marcel Proust, Jules Renard, Émile Zola, Fernand Labori, Claude Monet…

Yoann Laurent-Rouault