Orage d’antan

Bonjour,

Je vous livre une page de souvenirs d’enfance.

 

Ces crépuscules d’été, dont je garde des souvenirs émus, étaient régulièrement marqués par les brusques violences d’un orage. Une première vague de nuages blancs voilait le ciel trop bleu. D’autres, un peu gris, emprisonnaient chaque rayon étincelant. De lourds cumulus, très noirs, imposaient une obscurité pesante. L’air devenait irrespirable. La petite remise se révélait un lieu rassurant face aux rudes assauts qui se succédaient. Des éclairs aveuglants s’échappaient d’un ciel d’encre. L’on subissait des grondements, des roulements et des claquements. Une lumière blafarde aux contours inquiétants saisissait toute vie. Il était difficile de rester inactif, l’air devenait frais et étouffant. Nous frissonnions tout en respirant avec difficulté. Ma grand-mère disparaissait. Elle se réfugiait d’un pas nerveux dans sa cuisine, derrière les murs épais de sa maison, face à ses fourneaux. En surveillant des morceaux de viande qui mijotaient doucement dans leur graisse, elle échappait aux déchaînements d’une nature inquiète. Elle préférait le chant lancinant et mystérieux s’échappant du foyer.

Mon grand-père me rassurait d’un regard. Il avait toujours un outil à réparer ou un panier en bois, solide compagnon du jardin, à renforcer. Sans un mot nous écoutions, complices, les bourrasques qui balayaient les arbres. L’eau heurtait la terre. Le vent fouettait les arbres et les murs. Dehors, de petites boules d’agate, d’ivoire, ressemblant aux billes translucides que nous échangions dans nos cours de récréation, s’écrasaient contre les murs et les fenêtres. Des gerbes humides délimitaient l’entrée de notre retraite. Des cascades brillantes surgissaient des toits. La terre sèche, fissurée par la chaleur, aspirait la pluie avec avidité.

Mais pareille fureur s’épuisait subitement face à une petite lueur mutine, jaune clair, qui se glissait pour faire revivre le chant des oiseaux. Un dernier éclair s’enfuyait. Respirer profondément procurait un plaisir nouveau. Tout, autour de nous, redevenait joyeux. Les arbres perdaient leurs perles de pluie. Un fin brouillard transparent glissait sur les roches et la terre. Des brins de soleil ricochaient sur les flaques d’eau claire. Nous pouvions sortir et entendre les cloches qui s’animaient au loin, d’une ardeur nouvelle.