Par anticipation ?

Par anticipation ?

 

Je tiens un sujet formidable pour marcher dans les pas de George Orwell : le web. Notre numérique qui êtes aux cieux. Je vais commencer ainsi mon chemin de fer : « L’informatique nous tue. Il efface peu à peu notre empreinte. Nous ne sommes déjà plus uniques. Notre ADN est devenu judiciaire et administratif. Il n’est en aucun cas un particularisme remarquable. La couleur de vos yeux, votre taille, vos capacités physiques et intellectuelles ou votre sexe ne comptent plus. Nous ne sommes  plus que des avatars numérisés, dématérialisés et abstraits. Nous sommes entrés dans un monde où le processus  est roi et où  les technocrates, informaticiens et consorts sont les nouveaux dieux du « protocole ».

Et ces salopards écrivent leur bible.

Versets après versets.

Chapitre après chapitres.

Et nous devrons la réciter pour eux.

Et en le faisant, ils annulent le testament humain, renient toutes les libertés et toutes les sentimentalités. Toutes les  originalités et tous les particularismes. Le genre humain est en uniforme.

Le Cyrano de demain devra corriger son nez en chirurgie. Où il disparaîtra. Le hors-norme est désormais interdit. Toutes difformités sont bannies.

Car la pensée est devenue unique.

Non complexe, non multiple. 

Vous n’avez plus le droit d’avoir un avis public qui ne va pas dans le sens de ceux qui vous ont achetés comme de ceux qui vous fournissent. Vous ne pouvez pas créer de dissidence si vous n’êtes pas mandatés pour la créer par ceux qui dirigent les masses.

Vous ne devez plus boire d’alcool, manger gras, fumer, vous exposer inutilement au danger, conduire, voyager, vous réunir, baiser, car vous devez rester en bonne santé pour consommer et nourrir le système. Et ce le plus longtemps possible. Parce que dans deux ou trois milliards d’humains de plus, il n’y aura plus de place sur la planète.

Et les enfants seront comptés.

Et leurs naissances seront programmées.

Nous  ne sommes plus qu’une nourriture, une base de données individuelles qui alimentent le processus pour créer des protocoles en chaîne et malheur à celui qui en sortira, qui n’entrera pas dans la case, qui dépassera d’un pixel, qui dira ce qu’il ne faut pas dire, qui écrira ce qu’il ne faut pas écrire.  Les cases seront cochées ou non. Au cas par cas. Si elles ne le sont pas, vous n’existerez plus. Tous les accès vous seront refusés. Définitivement. Vous céderez alors votre place à un nouveau-né, formaté au biberon. Sortie de la couveuse d’une nursery d’état. Mis en service pour la cause et le « bien de tous ». On vous effacera pour lui.

Si vous n’avez pas de monnaie numérique, vous serez hors jeu, même avec une valise pleine de billets à la main. Même pour entrer dans des toilettes publiques. D’ailleurs, regardez bien les espèces sonnantes et trébuchantes que vous connaissez, c’est le prochain grand virage: elles disparaîtront bientôt. Elles sont archaïques. Dépassées. Bonne du temps de papy, ridicule aujourd’hui. On vous le dira et vous le croirez ! Sincèrement. En conséquence, vous devrez tout déclarer, absolument tout, et payer en retour, sans échappatoires, ce qui est dû, comme ce qui ne l’est pas. N’importe quelle administration pourra vous ruiner même sur une erreur. Définitivement. Les robots ne prévoient pas le recours en grâce. Et lorsque vous perdrez pied, que vous ne disposerez plus de ces moyens numériques survivalistes, que vous ne pourrez plus vous offrir de connections, que vous n’aurez plus accès à ces  forfaits qui sont devenus obligatoires, vous perdrez toutes assurances, toutes garanties, toute possibilité de retour. Votre véhicule sera tout aussi hors-la-loi que vous, vous ne pourrez plus vous déplacer, vous n’aurez plus accès aux temples de la consommation et vous perdrez alors progressivement toutes les fournitures liées aux fonctionnements basiques de votre logement. Il vous sera alors retiré pour répondre aux normes de la salubrité publique. Et la rue, là où vous échouerez,  au sens où nous la connaissons aujourd’hui, ne sera plus. Vous irez pourrir dans des ghettos, dans des « no go zones », dans des no man’s land, pour un peu qu’il restera un bout de territoire libre… Vous serez séparé de votre famille. Banni de votre propre vie. Votre propre déchéance sera votre prison. »

Mais, non.

Ce n’est pas bon. Je ne vais pas assez loin…

C’est connu tout ça…

Et ce n’est pas vraiment de la science-fiction ce que j’écris là.

Mon scénario est faiblard…

Il y a encore vingt ans oui, il aurait fonctionné,  mais aujourd’hui non. Parce que nous nous y dirigeons à grands pas, vers cette société idéale que le commun applaudit à heure fixe du haut de son balcon.  Et d’ailleurs, cela se fait sans nous.

Sans que nous puissions intervenir.

Nous n’avons déjà plus aucun secret pour le chiffre.

Quelques exemples en suivant, pour illustrer mon propos, glanés sur ces cinq derniers  jours: parlez d’une marque d’alcool à un ami sur une messagerie vocale, pourtant sécurisée, paraît-il, et il trouvera une publicité de ce même alcool dans les heures qui suivent sur sa boîte mail et sur sa page sur un réseau social. Faites une recherche pour trouver deux pneus pour votre voiture et vous serez inondés de publicités pour pneumatique dans la demi-heure. Sur tous vos supports. Payez un service numérique pour éviter ceci et vous serez harcelés de propositions pour améliorer ce service. De téléchargements « utiles », de mises à jour et de demandes factices de modifications de votre disque dur. Disque dur qui ne l’est que pour votre portefeuille. Parlez de votre bébé au téléphone, postez une photo de lui sur Facebook et on vous proposera toute la panoplie complète du nourrisson. Les besoins primaires d’un enfant multipliés à l’exponentiel, du coton bio éthique pour son body aux chaussettes thermomètres multisensorielles, en passant par les applications qui vous disent à quelle heure le nourrir. Même vos mails confidentiels sont analysés. Non par des gens, non par le KGB, la CIA ou Landru, mais par des robots. C’est pire. Le viol n’en est que plus sordide. D’autant qu’il est neuf fois sur dix basé sur une analyse totalement fausse. Et que ces saloperies électroniques prennent de plus en plus d’indépendances sur vos choix et décisions. Avez-vous passé cette semaine sans vous insurger une seule fois contre votre téléphone, votre imprimante, votre voiture ou votre ordinateur ?

Un autre exemple avec un autre ami qui devait faire des photographies spécifiques pour un passeport. On lui a dit au guichet : « vous vous êtes mis trop près de l’objectif pour la photographie. Votre visage ne doit pas excéder une taille de 36 millimètres sur le document. Pas de chance, il est à 37. On lui a dit aussi : vous ne devez pas sourire, vous ne devez pas incliner ou pencher la tête, vous ne devez porter aucun accessoire ni aucun maquillage. Sinon vous n’aurez pas votre passeport ».

Et ce guichet, cette personne qui lui a répondu, dans cinq années, son poste existera-t-il encore ? Mon ami ne se heurtera-t-il pas à un robot dans quelque temps ? Un robot qui refusera d’enregistrer la demande. Et qui ne répondra pas.

Bienvenue dans l’anonymat numérique.

Votre reconnaissance faciale est en court.

Ne bougez pas.

Ne souriez pas.

Non, vous n’êtes pas filmé, vous êtes scannés.

Le prochain grand scandale organisé sera la publication de données privées concernant des personnalités « à effacer » du paysage numérique. Mon métier fait que je reçois certaines confidences de personnes bien informées. Et leurs informations convergent.  Des entreprises proposent déjà à des prix faramineux, pour les utilisateurs communs du web, d’effacer ou de réécrire toute votre existence numérique depuis votre tout premier pas sur internet. Et elles peuvent le faire sans trop de difficultés. À l’inverse, le pouvoir, ou plutôt les pouvoirs en place peuvent aussi éliminer tout opposant en inversant le processus. Une nuit d’alcool, de solitude et de déprime, prenez rendez-vous avec une call-girl ou promenez vous sur des sites pornographiques, participez à des forums non « politiquement corrects », postez une vidéo de vous à caractère sexuel ou menacez un tiers (même si c’est légitime) et vous vous mettez en fâcheuse posture. Un mot, un seul, un geste, un seul, peuvent déclencher sur vous l’apocalypse numérique.

Tout, absolument tout, pourra être retenu contre vous.

Les médias nous abreuvent de ces « scandales » depuis des mois. Depuis des mois, car la cadence s’accélère. Remarquez-le. 11 mois nous séparent du pire à venir. Pourtant, les deux choses qui font écho directement à un pouvoir, quel qu’il soit, et qui sont vectrices de scandales, c’est l’argent et le cul.

Le chasseur mange mieux et baise plus que le cueilleur…

Ce n’est pas nouveau.

Non, ce qui est nouveau c’est la teneur de la peine. Le prix donné à la punition. Il s’agit d’une mise à mort sociale complète et totale. Sans date de péremption. Trouvable n’importe où, n’importe quand et par n’importe qui. Archivée. Classée dans des moteurs de recherches. Avec une sélection de mots associée à un nom.

Alors, liberté, liberté chérie, j’écris ton nom…

Inlassablement.

Encore et encore.

Tant que c’est encore possible.

Jusqu’à ce qu’on en perde les lettres et que  le mot disparaisse à jamais du vocabulaire planétaire.

 

YLR.  Rédacteur en chef. Pour l’Edredon.