Pétards mouillés.

Pétards mouillés.

Le 14 juillet perd de sa saveur. De plus en plus. Depuis une dizaine d’années et surtout depuis 2017. Avant, pour ma pomme, ce jour était une vraie fête. À la campagne comme à la ville. Où que j’ai pu vivre. Le jour des grillades, des bals populaires et des feux d’artifice. C’était une journée spéciale où les amis et la famille se retrouvaient autour de la table « pour faire les cons » et fêter les vacances et l’été. On buvait, on chantait et le bordel était  le roi du jour.

Gamin, c’était la journée des farces, des pétards et des allumettes. Des fonds de verres descendus en douce. Des opérations commandos pour poser mes explosifs un peu partout et surtout où il ne fallait pas, avec les frangins et les cousins, et des mères, des tantes et des cousines qui criaient en sursautant à chaque détonation : « L’année prochaine, pas de pétards ! Ils sont impossibles ces gosses ! » Et l’année suivante, de recevoir au petit matin, en douce, un billet de cinquante francs avec un clin d’œil du grand-père accompagné d’un généreux  « Prends ça p’tit con, va à l’épicerie et dis rien à ta mère ! » Et d’aller me fournir en mammouth et autres chapelets de pétards en ricanant.

Et puis il y avait le défilé. Et la nostalgie dans les yeux de mon père, du grand-père et de quelques oncles et grands oncles. Eux avaient vécu des conflits. Et quand passaient les militaires, ils étaient émus. Ils ne disaient pas grand-chose de ces années dans les armes, et je n’ai jamais su si c’étaient leurs jeunesses qu’ils pleuraient ou si c’étaient les souvenirs du feu qui leur revenaient. Peut-être un peu les deux. Je me souviens que les pères de la famille aimaient avoir leurs fils près d’eux à ce moment-là. Et que les femmes de la famille n’y assistaient que de loin. Elles ne souhaitaient pas que leurs fils portent un jour un uniforme. Après, au comptoir, ils levaient leurs verres à des amis disparus, à des proches perdus. Avant de partir dans la déconnade la plus complète et d’enchaîner les Ricard. Juste avant midi, on se trouvait une place à l’ombre sur le trottoir, il y avait la fanfare municipale qui passait, avec ses couacs et ses cuivres, il y avait le maire en queue de cortège qui saluait les gens, fier et débonnaire, son écharpe tricolore en berne, ses adjoints marchaient en peloton derrière lui, et puis venaient les majorettes et leurs levés de bâton. Les applaudissements et leurs sourires. Leurs jupes courtes et leurs bottes blanches. Le vrai succès de la journée, c’étaient elles.

Les terrasses de cafés étaient pleines à craquer et les préparatifs de la commune pour le bal et le feu d’artifice allaient bon train dans les coulisses. Des types perchés sur des échelles accrochaient des drapeaux, des guirlandes d’ampoules, un haut-parleur fixé sur le toit d’une camionnette municipale donnait les horaires et le programme des festivités. Un coin de la grande plage, balisé et interdit faisait rêver tous les gosses du village. Les artificiers étaient au boulot. On piaffait d’impatiente d’être au soir.

Je sentais que les gens autour de moi aimaient cette journée autant que moi. Qu’ils étaient fiers de leur pays, de leurs familles  et de leur commune ! Je crois que le drapeau avait alors encore un sens. Et qu’il était beau. Rassurant dans son bleu, dans son blanc comme dans son rouge. Qu’il y avait une identité commune et qu’il la symbolisait gaiement.

Mais depuis quelques années, pour moi, la fête nationale est devenue une journée comme une autre. Banale. Sponsorisée par la politique, spoliée par les médias et pour le coup, devenue bien fade. Une journée d’estivant plus que de citoyens. De vacanciers plus que d’habitants. Bien sûr, on va voir le feu quand il y en a un, mais ce n’est plus pareil. Le 14 juillet se joue maintenant surtout derrière l’écran. Il est récupéré. Solennel. Fait du pouvoir en place. Instrument de propagande. Le peuple l’a perdu.

Je deviens peut-être un vieux con… mais cette journée-là, je n’y crois plus. C’est peut-être aussi un peu de ma faute si je ne m’y retrouve plus. C’est peut-être parce que j’éprouve du dégoût pour les élus en place comme pour le schéma de vie qu’ils m’imposent, à tant de niveaux que je n’ai même plus envie de préciser mes pensées. Ni d’en faire la liste. Et, c’est peut-être aussi parce qu’il y a trop longtemps que je n’ai pas voté avec conviction, que le drapeau me laisse froid. Et que je n’ai plus envie de voter. Que je n’y crois plus ! Je me sens comme otage de mon propre pays. C’est peut-être aussi parce que je me pose la question douloureuse de savoir si je vis encore dans une démocratie, si mon pays existe encore ou s’il n’est plus devenu qu’une région parmi d’autres, aliéné à une mondialisation dévastatrice et à une politique absurde. Et peut-être aussi parce que je ne reconnais plus ses habitants. Prudents, trouillards, moutonnants, obéissants. Tristes. Anonymes.

En bref, je ne suis plus fier d’être français et je constate que ma Bretagne s’enfonce peu à peu elle aussi dans cette normalité subie et imposée, dans les schémas de cette pensée unique assassine. Quant au sommet de la pyramide, à la capitale, il me pousserait simplement à souhaiter une révolution. Comme celle qui a fait il y a 232 ans, que ce jour soit devenu le jour de la fête nationale.

Bref, cette fête d’autrefois, aujourd’hui, elle me fout le cafard.

YLR. (futur immigré.)