Quand virevolte la vie par Alain MAUFINET

Bonjour,

 

Je vous offre un passage d’un de mes écrits, quand Alain Badirac était ma signature. N’oubliez jamais que la vie est plus belle qu’on ne le croit. Hélas, des guerres inutiles se déroulent à nos portes. Malheureusement, des dangers insidieux nous entourent.

 

QUAND VIREVOLTE LA VIE.

 

« Les images de l’écran s’enchaînent. Au premier plan, deux pins gigantesques aux aiguilles grillées s’imposent. À leurs pieds, un petit cours d’eau frétille. Il longe une baraque aux planches disjointes. Il accueille une escadrille de canards qui se posent non loin d’une barque assoupie. Il murmure les secrets des ailes qui pirouettent sur ses miroirs.

Un immense voile blanc surgit. Il flotte. Des escortes de feuilles, qu’un arc-en-ciel colorie, le précédent. Le rêveur imaginerait un nénuphar d’ivoire géant. Le méditatif évoquerait un cygne immobile, les ailes déployées. Les courants indifférents s’étirent sous un petit pont. Ses pierres grises portent le poids de stries profondes. Ici se croisent la sueur des roues de charrettes et la nonchalance des pas des promeneurs.

L’aboiement d’un chien errant retentit. Le voilage blême pivote. Il s’accroche aux ongles obscurs des racines. Il se pare de l’ombre fraîche du pont. Un couple de corbeaux en se posant sur ce radeau blafard trahit une forme. Un tronc se cache sans doute sous l’étoffe d’ivoire. Un boulanger verrait un banneton dériver, et un pâton lever. Une fillette chemine. Elle chantonne, une poupée à la main. Elle s’approche de la berge. Un ivrogne, le regard fixe, observe la scène du pont. Raide comme un automate, il croit distinguer une jolie baigneuse. En titubant, il s’écroule avec son litron un pied contre un chêne, l’autre contre un roseau. Il se relève malaisément pour contourner le parapet. Sa tête hirsute s’incline, il perd l’équilibre.

Le commissaire est las, derrière son bureau massif. Les dossiers multicolores encombrent chaque centimètre du vaste plateau. L’ordinateur scintille. Le téléphone clignote. Marqué par l’ennui, il ne se soucie ni de l’un, ni de l’autre. Son regard se perd entre les lignes de feuillets échappées de chemises colorées. Depuis sa dernière intervention dans un immeuble de banlieue, une peur insidieuse a progressivement sclérosé sa vie. Le plus petit claquement le fait sursauter. Il ne supporte plus les bruits métalliques de son arme de service.

C’était un matin de septembre, il y a plus d’un an déjà. Il dirigeait une banale opération de police, un contrôle d’identité. Il était sur la piste de délinquants sans envergure. En pénétrant dans un appartement sordide, il avait découvert une poignée d’enfants qui dormaient. Ils étaient originaires d’un autre hémisphère. Dans un coin de la pièce une jeune fille l’observait. C’était la plus âgée du petit groupe. Il lui avait donné vingt ans, frappé par son nez aquilin. Étrangement rousse, son sourire accompagnait un regard noir opale et glacé. D’innombrables lueurs cristallines dansaient aux creux de ses yeux. Il avait vacillé. Il retrouvait ces teintes qui l’avaient fasciné lors de son récent séjour en Australie. Il avait visité cette ville fantôme d’où l’opale surgit, blanche, noir, cristal. Inconsciemment c’est ainsi qu’il traduisit les éclats qui l’hypnotisaient. Il lui avait tendu la main, elle l’avait saisi. Dans son dos, un policier avait crié, il s’était retourné. Dans la main gauche de l’adolescente pointait un pistolet trop gros pour elle. Du canon, une flamme vive avait surgi. Projeté contre un meuble, il avait immédiatement senti une brûlure sur sa poitrine. Les êtres et les choses étaient devenus ternes. Ils s’effaçaient les uns après les autres. Le plafond s’écroulait sur lui. Son équipier, le plus proche, l’avait appelé. Il croyait avoir répondu que tout allait bien. Il s’effondrait. Peu après, son équipe devait découvrir des armes, et des valises pleines de sachets de drogue, dans une pièce à la porte cachée par une armoire imposante. Les enfants, gardiens ou otages des lieux, ne parlaient pas français. »