La volonté d’une foule, en colère ou non, peut contraindre une
autorité politique à céder. Prenons les cas que sont « les marches »,
où des milliers d’individus convergent symboliquement par la route
vers le centre du pouvoir, pacifiquement, mais avec détermination.
Ils sont d’ailleurs souvent victimes sur leur chemin de la brutalité
de cette même autorité qu’ils contestent, mais ils restent dignes,
comme mués par une volonté divine. La volonté du nombre efface
toutes les cautions d’une autorité. À terme. Citons pour exemple la
marche du sel de Gandhi ou les marches « noires » organisées aux
États-Unis pour combattre la ségrégation. Elles ont eu beaucoup
plus d’effets positifs que des émeutes générées dans des grandes
villes pour les mêmes raisons. Venons-en justement à l’émeute. La
foule en colère annihile tout ce qui se trouve sur son passage, et tout
ce qui représente symboliquement son adversaire. On placera donc
en face une autre foule pour la maîtriser : des opposants ou des
forces de l’ordre. Qui auront les motivations inverses pour agir, mais
qui, à terme, auront le même comportement que cette même foule
en colère. Puisqu’eux aussi, forces de l’ordre ou opposants, deviendront soumis au « caractère » même de leur propre foule. C’est là un
principe martial. Utile à ce que l’on nomme la guerre. En cela, par
le spectre de la pensée de Gustave Le Bon, l’étude de cas devient
passionnante. Retenons la leçon pour mieux appréhender le travail
de l’auteur : une foule est une entité qui converge vers le même objectif ; l’individu est effacé au profit du nombre. Psychologiquement
comme physiquement. Un agrégat humain est dans un hall de gare :
chaque individu a des vues, des contraintes et des destinations différentes des autres. Il ne se fond pas dans une entité. Comme il le
ferait dans une foule.
YLR (extrait de la préface de » La psychologie des foules »)