Tuée sur la bonne voie, Erell Buhez

Ecrire pour se guérir. Ecrire pour décrypter ce lent cheminement thérapeutique dont Erell Buhez en livre, parfois avec une ingénuité désarmante, les méandres dans Tuée sur la bonne voie. Ecrire pour comprendre et assumer enfin ce qui l’a amenée à vouloir se défaire du seul bien que l’on possède, la vie qui nous a été donnée. Descendre, mot après mot, les marches de son propre enfer, celui dont elle a voulu se libérer en se jetant sous un train, un enfer dont elle fut à la fois spectatrice et victime.
Depuis bien avant ses désamours, ces erreurs du cœur que souvent l’on doit tous à un manque de connaissance de nous-même et qui nous font confondre l’amour nu et puissant, qui n’attend rien d’autre que lui-même, avec le besoin de combler nos manques en existant dans le regard de l’autre, de tous les autres. Car depuis l’enfance, la dépression maternelle, pathologie qui n’est nullement héréditaire, avait inscrit ses marques mimétiques chez la narratrice entre un père médecin absent, et une mère taiseuse qui étouffait ses sentiments en jouant la bonne humeur pour la galerie et en se noyant ses chagrins secrets dans la fumée des Gitanes. Le divorce de ses parents creusa au cœur et dans l’esprit de la narratrice une blessure suppurante.

Le manque de confiance en elle, latent et pérenne, allait cimenter d’évènements douloureux, parfois prévisibles parce qu’inconsciemment cherchés, sa vie d’ado et d’adulte. La mort de sa mère déclencha son effondrement. Comme femme, épouse, mère puis « maman solo » et enseignante spécialisée. Son compagnon, le père de ces deux enfants, « cet homme imprévisible que j’ai pourtant aimé…[…]….cet homme violent, égocentrique, colérique et imbu de sa petite personne…[…]…. toujours apte à poser des diagnostics psy parce qu’il a fait des études d’infirmier », cet homme qui n’a d’autre nom que « le père de mes enfants », la maltraite psychologiquement, l’humilie et s’en repait.

Erell Buhez finit par découvrir que son tortionnaire menait une double vie. Même en vivant avec une autre femme, il continua son travail de sape, utilisant ses enfants comme moyen de chantage.
Petit à petit, comme l’auteure nous le confie, elle perd ses repères. Son désintérêt d’elle-même s’accentue, d’autant plus que professionnellement, son poste d’enseignante spécialisée auprès d’enfants en difficultés scolaires et familiales ne semble avoir d’autre sens que celui de bouche trou. Elle n’a même pas une salle où leur apprendre le BA BA, lire, écrire, compter. Son constat désenchantée colle à l’image que lui renvoie notre société. Le décrochage « l’éducation nationale s’en fout, continuant de considérer les élèves comme des chiffres, réduisant les moyens. À grand renfort de médiatisation politicarde, on fait croire que l’on propose le contraire, que des mensonges… »

Elle sombre, lentement et sûrement. « Elle se voit s’éteindre au fil des jours et des semaines. » Tout a le même goût. Celui de rien. Elle devient transparente. Se sent inutile. Qu’on la nomme dépression ou burn-out, le résultat est le même : « c’est une maladie, invisible, qui s’insinue tranquillement dans votre cerveau, jusqu’au jour où on ne peut plus lutter. Cette douleur de vivre à en préférer mourir plutôt que d’infliger son mal-être à la Terre entière et ne cesser de s’en culpabiliser. » A quoi bon vivre ? La solution est là bas, un jour, au bout du quai. Sous un train.

Erell Buhez se raconte dans son livre Tuée sur la bonne voie, façon journal intime et rédigé durant le confinement covidien. Elle y alterne le Elle, le passé, celle qui a été mais n’est plus, avec le Je, le présent, sa reconstruction physique et psychologique, empreinte de doutes et de culpabilité. Vouloir s’ôter la vie, plutôt que de se donner la mort, reste toujours un peu suspect aux yeux des biens pensants  qu’en apparence, nous sommes tous plus ou moins. Vouloir mettre fin à ses nuits, plutôt qu’à ses jours, résonne souvent, aux yeux de l’entourage, famille et amis, comme l’aveu muet d’une défaite honteuse. Un aveu qui dérange, puisqu’il l’oblige aussi à se remettre en question. Et cette crainte : si Erell recommençait ?

Comme souvent, c’est parmi les fissurés de la vie, entre rencontres émouvantes et percutantes, amitiés neuves mais solides qu’elle trouve réconfort et redécouvre l’appétit de vivre. Retrouver ses racines, en Bretagne, « un endroit qui me ressemble, une vie autrement », dans la maison maternelle et près de sœur, est source d’énergie rédemptrice. Et comme un rappel de soi qui ne la quittera plus jamais : sa main et son poignet, magistralement sauvés par une équipe médicale bienveillante. Un handicap comme une résilience.

« Je vais m’accompagner, je suis sur la bonne voie ». Ainsi l’auteur conclut-elle son récit qui a également pour une vocation généreuse : « En ces temps particuliers, parfois anxiogènes, où un virus entraîne de plus en plus de personnes dans la chute vertigineuse de la dépression, je voudrais pouvoir croire que ce livre les aidera, ainsi que leur entourage, à accompagner, s’accompagner, à se soigner pour ne pas envisager le pire. »

Quelle que soit la voie qu’elle emprunte, une re-naissance est une greffe de l’âme.