Un âge de la vie

Elle est là, assise parmi nous, à côté de nous, loin de nous.

Elle n’est plus venue à Paris depuis deux ans, non pas parce qu’elle vieillit mais parce que le monde s’est retrouvé à l’envers, et nous tous avec. Covid est passé par là.

A chacune de mes visites là-bas, je la vois décliner : la démarche se ralentie de plus en plus, de nouvelles habitudes qui ne lui ressemblent pas s’imposent avec autorité, un besoin d’ordre inhabituel la rend étonnamment peu ravie de notre présence chez elle.

A chacun de mes retours ici j’oubliais ces manies qui signaient les changements d’une femme qui perd le plaisir et l’impatience de recevoir les siens qu’elle passe son temps à attendre.

Tout l’inquiète, l’angoisse, prend des proportions démesurées. Elle s’installe dans un carcan qu’elle se taille tout en se plaignant de sa solitude qu’elle tisse telle une ouvrière besogneuse, avec art et doigté.

Seule au réveil, seule au coucher, son monde s’est rétréci pendant la journée.

Ses petits yeux à la vue vacillante ont chassé la lectrice qu’elle était.

Les appels sont exclus ; ils rappellent douloureusement les départs et la distance.

Lui reste le son de la télévision comme compagnon assourdissant qui remplit le silence de l’absence des êtres aimés, chéris, hais.

Les médicaments assurent le relai. Elle peut enfin dormir.

L’éloignement ou la disparition de tous ceux qui ont constitué la chair de son existence sont ainsi annihilés.

Là, assise parmi nous, je la vois s’éloigner. Son verbe s’est tari et son regard est ailleurs. Vers mon père ?

Stella, aurai-je le temps de poser ma tête sur ta poitrine pour voler les dernières poussières de ton étoile ?