Critique d’art.

Avec Charles Baudelaire, Zola a été l’un des deux plus importants critiques d’art de son époque. Et Zola fut un critique aux sens et à la conscience éveillée. Zola défendra les artistes « du salon des refusés », ces artistes anarchistes et dangereux qui sont bannis des expositions importantes organisées par l’académie. Il plaidera avec passion pour la nouvelle peinture réaliste de son époque et écrira même un manifeste sur le sujet. Il défendra le réalisme choisi des peintres comme les nouvelles compositions et les touches picturales inédites d’artistes travaillant dans le non fini, d’artistes qui montrent aux spectateurs le travail de l’artisan et qui ne cherchent pas à dissimuler la matière même qu’est la peinture. Son personnage dans « l’œuvre », Claude Lantier, représente bien le parcours de ces peintres maudits, si effrayants pour les beaux-arts, qui sont adeptes des nouvelles tendances picturales opposées à l’académisme conservateur et bourgeois de la seconde moitié du XIXe. Il faut dire que l’écrivain a les bonnes fréquentations pour exercer sa plume à la critique de l’art. Dès les années 60, du XIXe siècle, donc sans jazz et sans chewing-gum, le jeune Zola, accompagné de « son presque frère » Paul Cézanne, fréquentent le groupe d’artistes des Batignolles, comme d’autres, presque un siècle plus tard, fréquenteront les ateliers d’un certain bateau-lavoir. Quant à Cézanne le maudit, nous avions coutume d’en dire, dans l’école des beaux-arts de ma jeunesse, qu’il était notre père à tous puisqu’il incarnait la « Sainte Victoire » de l’art moderne.

Émile Zola visite donc les ateliers des artistes et rencontre l’auteur avant de faire son papier. L’auteur qui l’intéresse tout autant que sa peinture. Sa démarche est nouvelle et c’est du vrai journalisme qu’il propose à ses lecteurs. Il fait ainsi la connaissance de tous les ténors du vaste opéra artistique du monde pictural parisien, qui est à ce moment-là, avec Vienne, le plus important foyer des arts modernes du monde connu.  Dès cette époque, la photographie aurait pu tuer la peinture, une peinture alors seulement tolérée figurative par l’académisme imposé de quelques vieux barbus embourgeoisés et pétris de certitudes artistiques antédiluviennes. Antique, moyenâgeuses, archaïques, dépassées, obsolètes, vétustes, fossiles, caducs, périmées, anachroniques, poussiéreuses, ringardes, surannées, bref, qui ont fait leurs temps !  Il était urgent, pour cette génération de peintres, que la peinture « ne représente plus », mais « soit ». Tout simplement. La peinture en tant que telle. Une idée si simple, qu’elle ne passait pas.

Zola est déjà conquis par un certain Manet, qui propose une interprétation picturale totalement nouvelle, avec pour base, ô scandale, des scènes de petits genres, c’est-à-dire qu’il peint des images contemporaines sans sacralisation historique et sans références religieuses, c’est-à-dire pour résumer, sans classification biblique ou mythologique…

Manet peint la vie, et il s’en contente. Les Horaces, Sardanapale et les sacres divers et variés des rois du monde, les propagandes d’états des Delacroix et autres David, sont mis au placard avec bonheur et avec une certaine effronterie revendiquée.

L’impressionnisme, ses trains, ses paysages peints en plein air, son déjeuner sur l’herbe et surtout son Olympia font scandale sur scandales. Savez-vous, ce que représente alors, l’Olympia de Manet ?

Pour les conservateurs, cette femme aux pieds calleux, lascivement allongée dans un décor presque exotique, décor qui fait immédiatement songer à la représentation d’une odalisque, sujet noble en peinture, n’est qu’une prostituée de bas étage de la ville aux 10 000 bordels, à savoir, Paris. Olympia est une Zahia dans un défilé de haute couture. Une Marguerite Steinheil dans le salon bleu de l’Élysée. Une Pompadour sans ses titres à Versailles.Manet ose non seulement faire « le genre », c’est-à-dire produire un nu de facture académique en apparence, mais en plus, le coquin ne respecte pas l’ordre établi par ces messieurs de l’académie. Pour produire un nu à l’époque, il faut respecter les proportions canoniques. Il faut prendre les pieds d’un modèle, les jambes d’un autre, le bassin d’un autre, le torse d’un autre et ainsi de suite, jusqu’à la réalisation complète du puzzle…

Or, cette Olympia est une seule et même jeune femme !

Nue, sans autres raisons que celle que lui donne non seulement le peintre, mais aussi le spectateur.

Signez-vous et priez braves gens ! Et surtout ne regardez pas l’œuvre du diable !

Vous vous rendriez coupable d’association avec un pornographe !

L’Olympia de Manet va susciter un scandale encore plus important que celui du Déjeuner sur l’herbe, pourtant largement inspiré de la peinture vénitienne de la Renaissance. Et puis, Olympia est un autre terme de l’époque, pour désigner une prostituée de « haut vol ». La Naissance de Vénus, de Cabanel, elle, ne provoquera aucun scandale en 1863. Et elle remportera la médaille. Il faut dire que la vénus de Cabanel ne vous regarde pas dans les yeux, comme le fait cette effrontée d’Olympia ! Et puis elle est suffisamment tarte, avec ses petits angelots pour que personne ne soit choqué de ses chaires laiteuses académiques et de la souplesse de ses orteils. Il ne manque d’ailleurs plus qu’une coquille Saint-Jacques à la Tipiak pour compléter le tableau.

Zola comprend bien tout ceci, l’écrit et le publie, il sait aussi que l’art, comme l’écriture, a besoin d’époques et surtout de laboratoires. Gustave Courbet est l’autre source du jeune critique Zola, et c’est encore un dissident qu’il a choisi, un rebelle et surtout un monstre de talent. Il le qualifiera de « seul peintre de notre époque », ajoutant « qu’il a pour frères, qu’il le veuille ou non, Véronèse, Rembrandt, Titien ». Il est moins certain que Courbet eut adhéré au compliment. Charles Baudelaire et Jules-Antoine Castagnary diront de concert que son œuvre contient en germe la plupart des courants modernistes de la fin de son siècle. L’épisode de cette peinture réaliste, d’ailleurs, ne peut que servir au jeune Zola, lui qui inventera, le naturalisme en littérature. L’efficacité et la pertinence de ses critiques dans L’Événement sont vite reconnues par les lecteurs. Il y attaque sévèrement le jury du salon de 1866, s’en prenant« aux fausses gloires », aux peintres de salons ou aux peintres d’histoire comme le sont Meissonier ou Gérôme. Pour Zola, la place de l’œuvre de Manet est au Louvre. Mais, c’est le réalisme presque social autant que pictural qui lui plaît chez tous ces peintres de la nouvelle école des Batignolles, car à partir du moment où les impressionnistes évoluent vers un art qui «ne produit pas d’œuvres assez solides, assez travaillées», c’est-à-dire vers l’abstraction, dès le milieu des années 70, Zola décroche du mouvement. L’abstraction c’est un autre monde. Je vous conseille de lire l’excellente et pertinente Dora Vallier pour le comprendre, ou encore l’indispensable Pierre Cabanne.

Pour Zola, le peintre est avant tout une personnalité. Il affirme : «Ce n’est pas l’arbre, le visage, la scène qu’on me présente qui me touchent; c’est l’homme que je trouve dans l’œuvre. »  Lisons cette autre analyse pertinente du travail de Zola : « Cette personnalité doit exercer un effet unificateur puissant sur le tableau, dans lequel le peintre transpose toute son énergie. Le centre de l’œuvre devient alors non plus le sujet choisi, mais l’expression de la personnalité de l’artiste».Ses critiques ont été assez visionnaires puisque les peintres qu’il admirait en son temps sont toujours connus aujourd’hui, et ceux qu’il détestait sont désormais presque oubliés, du moins comme références de l’histoire de l’art. L’influence des arts plastiques sur l’œuvre de Zola est une réalité admise. L’écrivain paraît structurer ses romans comme un peintre structure sa toile, avec l’emploi constant de dossiers préparatoires comme les peintres réalisent des études préliminaires de son sujet. Il paraît avoir traité l’espace romanesque comme le peintre son espace pictural. J’aime assez cette phrase que j’ai lue, même si pour le coup, elle est de facture académique.

YLR