Le charivari de l’âme.

Je suis une âme en peine, bousculée, tourmentée, malmenée. J’oscille dans un perpétuel charivari de montagnes russes. Je suis bipolaire. Je suis maniaco-dépressive. Je suis folle. Je me soigne mais je ne guérirai jamais. L’on me dit stabilisée à présent. Je n’en suis pas certaine. Je me sens tellement fragile. Mes émotions me gouvernent. Une psychiatre m’a dit un jour que la bipolarité, c’est la maladie de l’émotion. Je ne sais pas gérer mon émotivité. Je suis à fleur de peau. Je suis une écorchée vive. Je suis comme un bateau ivre, je tangue… Ma vie est un charivari. J’oscille perpétuellement. Je ne sais jamais de quoi sera fait demain. C’est un peu comme si j’avais une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Quand vais-je dégringoler ? Je sais que la dépression me guette, tapie dans l’ombre. Alors je m’entoure de rituels rassurants. Je m’enlise dans mes habitudes. Je ne prends pas de risques. Je ne vis pas, je survis. Vivre m’effraie. Je vis petit, je vis au ralenti, je vis lentement. Surtout ne pas trop mettre d’intensité dans ma vie. Il ne faudrait pas que je vire maniaque. Mon traitement est ma béquille. Il m’aide à garder le cap de mon bateau ivre. L’écriture me sauve, me libère et m’anesthésie. Écrire me délivre de ma folie. À mettre ma vie par écrit, j’en oublie de vivre et ça me convient parfaitement. Écrire pour ne plus souffrir, pour ranger le bordel que j’ai dans la tête. Je peux passer des heures devant mon clavier, ma cigarette électronique à portée de main. J’aime ces moments-là. Ça en devient presque jouissif. C’est encore mieux que le sexe. J’ai toujours su que je deviendrai auteure.

Ma bipolarité me pourrit la vie. C’est un trouble invalidant. Je suis une handicapée psychique. Pourtant, au premier abord, ça ne se voit pas. Je n’ai pas l’air malade. Si vous me croisez dans la rue, vous ne remarquerez rien. Beaucoup pensent que je fais de la comédie, que j’exagère, que ce n’est pas si grave. La plupart ne comprennent pas. Il ne sert à rien de se justifier face aux préjugés et autres idées reçues. J’ai fini par l’apprendre à mes dépens. La bipolarité n’est pas une marque de faiblesse ou un manque de volonté. C’est une pathologie lourde, un handicap. Je suis différente, j’en ai conscience. Je ne vis pas dans le déni. J’ai accepté ma maladie. Je me soigne. Je prends les traitements préconisés. Je consulte mon thérapeute. Je connais mes limites et les conduites à proscrire.

J’ai réussi tant bien que mal à apprivoiser ma pathologie afin de la rendre plus supportable. Je me suis habituée à mon charivari intérieur. Je ne coule pas, je nage, parfois à contre-courant. Il m’arrive encore de boire la tasse au milieu de mes émotions. Mais je tiens bon. Ma galère vogue contre vents et marées.

Brigitte Bianco / Bianca Bastiani, auteure de CENDRILLON DU TROTTOIR.

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